Autopsie de Twitter et d’une certaine utopie

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“L’oiseau s’est envolé”. C’est par ce tweet laconique que le milliardaire américain Elon Musk annonçait en octobre dernier son rachat de Twitter. Un an plus tard, l’oiseau bleu semble déplumé. Changement de nom, de logo, mais surtout licenciements massifs, disparition des fonctionnalités phares de la plateforme… Twitter est mort et avec lui une certaine utopie, celle d’un web 2.0 qui ferait triompher l’information et la démocratie. Quelles conséquences pour nous autres communicant.e.s et citoyenn.e.s ? Devons-nous, mais surtout pouvons-nous quitter X ? 

Un détricotage méthodique

Après 14 ans de présence sur Twitter, j’ai toujours un peu de mal avec les discours qui incriminent feu l’oiseau bleu comme LE réseau des “fake news”.  Secrètement, je ne peux pas m’empêcher de penser à tous ces comptes, ces hashtags et ces “threads” qui nous ont ouvert une fenêtre sur le monde et permis de voir l’Histoire en train de se faire. Mais, les chiffres sont têtus. En 2020 déjà, une étude du CSA déplorait le manque de modération et l’inquiétante multiplication des fausses informations. En septembre 2023, rebelote, un rapport de l’Union Européenne classe X comme la pire plateforme en matière de désinformation.  

Cette mutation de Twitter en royaume des conspirationnistes ne s’est pas faite en un jour. Elle est le fruit d’un processus méthodique ; et, à l’heure où l’Union Européenne légifère sur les “dark patterns”, il est essentiel de rappeler combien les codes et les fonctionnalités des plateformes déterminent les usages et accélèrent leurs potentielles dérives. La montée en puissance de la violence et de l’intox sur Twitter est le résultat d’un détricotage assumé de tout ce qui – à travers le design de Twitter – servait à structurer et à authentifier l’information. En tant qu’ancienne consultante e-réputation, j’ai d’abord été sonnée par la fin de Tweetdeck, un outil qui permettait d’organiser et d’affiner gratuitement toute veille digne de ce nom. Ensuite, j’ai été choquée par la volonté délibérée de X de ne pas modérer les images crues de récents crimes de guerre. Plus récemment, je suis restée sans voix devant le tweet d’Elon Musk se vantant d’avoir fait disparaître les titres et chapô d’articles partagés sur la plateforme (exemple ici ou ). Mais je crois que ce qui m’a le plus déprimée c’est la facilité avec laquelle le badge bleu s’est vu bradé contre un abonnement premium à 9,60€ par mois. Neuf euros et soixante centimes : une modique somme pour décrocher cette coche bleue qui permettait autrefois de signaler qu’un compte Twitter était d’intérêt public. Ce tout petit pictogramme que tant de journalistes (entre autres) ont peiné à obtenir peut désormais être entre les mains de n’importe quel internaute. Sur X, la parole d’un client “premium” vaut celle d’un.e journaliste expert.e. Pire, le design et l’algorithme le privilégie. Les effets dévastateurs de cette évolution sont déjà palpables comme l’illustre ce témoignage d’un journaliste désespéré :  

Alors que faire ? 

Se rendre à l’évidence : il n’y a – à ce stade – pas d’alternative à la hauteur de X

Certes, la place est particulièrement convoitée. Vous connaissez sans doute Mastodon, un logiciel libre, en open source et sans pub, créé par un développeur Allemand en 2016. Avec ses 2,5 millions d’utilisateur.rice.s (contre 564 pour Twitter !), Mastodon ne fait pas le poids et souffre de certaines complexités. En parallèle, certains misaient cet été sur l’explosion de Threads, l’alternative proposée par Meta. Mauvaise pioche : pour l’heure, les compteurs d’utilisateur.rice.s aux US sont au ralenti et l’arrivée de la plateforme en Europe a été repoussée. Enfin, il y a Bluesky qui part avec un avantage non négligeable : l’application a été créée par… le cofondateur de Twitter : Jack Dorsey. Le réseau est souvent décrit comme l’alternative la plus crédible déjà empruntée par plusieurs personnalités et médias mais son audience reste limitée (1 millions d’utilisateur.rice.s) et le processus d’inscription complexe (uniquement sur invitation). 

Faire perdurer l’âme de Twitter grâce au… bricolage

Vous êtes – comme nous – dépité.e.s par l’absence d’alternative ? En attendant, le succès espéré de Bluesky, voici quelques conseils et astuces pour supporter X au quotidien :  
1) Ne jamais se fier au badge bleu pour croire en une source. Cette vidéo de BFMTV résume très bien les réflexes à adopter.
2) Se connecter à X via Google Chrome pour profiter de 3 extensions miraculeuses : celle-ci qui permet de réafficher les titres des articles, celle-là pour reconnaître les comptes certifiés crédibles (vs ceux qui ont simplement payé pour obtenir le badge bleu), et pour les + nostalgiques qui permet de remplacer le logo X par l’ancien design de Twitter (passion oiseau bleu).

Quitter X

Vous êtes désormais prêt.e.s à quitter X ? Sachez que plusieurs l’ont fait avant vous.
Sur le plan individuel et militant, Le Monde raconte très bien comment la plateforme a été désertée par les défenseur.euse.s de l’environnement
Côté acteurs publics, plusieurs déserteurs sont également à recenser : 
– le groupe INSA  (regroupement d’écoles d’ingénieurs) qui a pris la décision de quitter X malgré lui (compte suspendu) avec un faible impact observé  
l’Université de Rennes 2 qui en a fait un acte de résistance et qui nous en reparlera plus longuement lors de l’atelier Cap Com que nous animerons en décembre prochain 😉
Côté acteurs privés, de plus en plus d’annonceurs boudent la console publicitaire de Twitter sans pour autant aller jusqu’à la suppression du compte. La marque de luxe Balenciaga est sans doute celle qui s’est montrée la plus réactive : son compte Twitter et son million d’abonné.e.s se sont volatilisés peu après le rachat de la plateforme par E. Musk.

Soyons clairs : que l’on soit un acteur public, une marque, un média,  il y a aujourd’hui peu de risques à quitter X. Baisse de l’engagement, baisse du trafic… La performance de la plateforme faiblit et il existe bien d’autres leviers pour toucher vos publics. Alors oui, techniquement, on peut facilement quitter X. Mais, le faut-il pour autant ? Alors que l’extrême-droite et le climatoscepticisme progressent, l’idée d’une désertion des plateformes grand public au nom de notre éthique nous inquiète beaucoup chez Leksi. Il y a d’une certaine façon une urgence d’intérêt général à combattre l’intox là où elle se répand. 

Résister aux dégoûtants

« Quand les dégoûté.e.s seront partis, resteront les dégoûtant.e.s ». La formule ré-employée par l’expert en communication publique Romain Pigenel est efficace. Elle dit en creux le rôle que la communication doit jouer pour soutenir l’information. Alors, si votre présence sur X consiste à dupliquer les contenus partagés sur Meta ou LinkedIn, arrêtez tout. Occuper le terrain ne suffit plus. Il s’agit plutôt de contrer les discours de haine, de corriger l’intox à la racine et de le faire savoir comme le font tant de journalistes en ce moment. L’un d’eux, Julien Pain (France Info) écrivait récemment : “Oui, je sais, on pourrait quitter Twitter pour aller ailleurs. Mais qu’on le veuille ou non, c’est encore ici que beaucoup de gens s’informent. Et on est bien obligé de tenter de repousser la marée. […] Mais combien de temps allons-nous continuer à écoper avec une petite cuillère ?” On aurait pas dit mieux. 

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