Les annonces de Mark Zuckerberg consacrant la soumission de Méta au trumpisme ont surpris tout le monde par la radicalité de son allégeance au Président élu des États-Unis.
En résumé dans cette vidéo 100% dystopique publiée sur son compte Instagram, Mark Zuckerberg, patron de Méta, annonce ceci (ce sont ses mots) :
– « Nous allons drastiquement simplifier nos principes de régulation et éliminer différentes restrictions sur tout ce qui a trait aux contenus relatifs à l’immigration ou au genre ».
– « Nous allons nous débarrasser des fact-checkers et les remplacer par des notes émanant des utilisateurs, comme le fait X. »
(Lire le résumé et la traduction de Frederic Filloux.)
S’abritant derrière la liberté d’expression, Mark Zuckerberg s’associe en fait à Donald Trump et entend faire de ses réseaux sociaux les bras armés au service de sa politique mortifère. Il a en outre depuis annoncé supprimer sa politique interne de promotion de la diversité Cela pose des questions politiques très inquiétantes – et pour nous, communicantes de l’intérêt général, des interrogations profondes.
Parce que Facebook, Instagram et WhatsApp sont devenus des espaces – parfois indispensables – où nouer des relations avec les citoyennes et citoyens, ils sont au même titre qu’un magazine ou qu’un site web des leviers de communication pertinents.
Quitter Twitter… et maintenant Méta ?
Le mariage entre Elon Musk (propriétaire de X/Twitter) et Trump en novembre, qui a fait de lui son ministre de l’efficacité gouvernementale, avait offusqué le monde de l’intérêt général de manière unanime. Pour les communicants, l’exil était une solution. C’est d’ailleurs le choix qu’on fait plusieurs acteurs publics et des médias (l’Université de Rennes 2, The Guardian, et plus récemment le Département de Loire-Atlantique) en quittant la plateforme, estimant à la fois qu’elle était devenue politiquement nauséabonde et stratégiquement peu utile pour toucher leurs cibles de communication.
Bref, le deuil de X était fait ou en cours – et Inès Slama, cofondatrice de l’agence, en parlait d’ailleurs avec des trémolos dans la voix dans un article en 2023.
« Parler là où les gens sont »
Quitter Méta est une décision autrement plus difficile car cela concerne des réseaux (Facebook, Instagram et WhatsApp) dont les performances en termes de visibilité et d’engagement sont encore décentes et où la publicité reste abordable et assez efficace. Sommes-nous pieds et poings liés à ces plateformes ? Faut-il continuer obstinément à « parler là où les gens parlent », à occuper ces plateformes en acceptant leurs conséquences désastreuses pour notre rapport à l’information et nos démocraties ? Depuis 5 ans, nous avons fait, chez Leksi, le choix du pragmatisme critique. Nous déplorons l’évolution des plateformes Meta et de leurs algorithmes, nous formons nos clients à cultiver un regard critique sur le sujet. Mais dans les faits, s’affranchir de ces outils semblait inconcevable et ce, en particulier pour des acteurs d’intérêt général aux budgets souvent contraints et pour lesquels les réseaux sociaux offraient des bassins d’audience pertinents et à moindre coût. Face à l’accélération de la trumpisation des plateformes, cette logique parfois schizophrénique rencontre ses limites. Il va de notre responsabilité d’accompagner peu à peu nos clients vers la réduction de leur dépendance aux réseaux sociaux et au déploiement de canaux de communication plus soutenables.
En effet, les propos de son patron laissent peu de place au doute : les contenus d’extrêmes-droite vont proliférer (les propos homophobes hier censurés par les modérateurs, ne le sont déjà plus aujourd’hui), les algorithmes vont continuer à stimuler la visibilité de contenus polarisants qui favorisent les réactions et ainsi augmentent les temps passés à scroller, la désinformation va s’épanouir au détriment des informations élaborées par des journalistes et les bulles de filtre vont s’accentuer, isolant chacun dans des espaces intellectuels fermés…
Alors que faire ? S’il existe des alternatives (comme Bluesky), nous pensons que les mêmes causes risquant de produire les mêmes effets, la solution pérenne ne réside pas sur ces plateformes. Parmi les alternatives, notons malgré tout que le réseau libre Mastodon est, sur le papier et depuis déjà des années, le plus décorrélé des intérêts financier des géants du web et que son modèle de gouvernance adossé à une structure à but non lucratif est prometteur.
Résister
Puisque c’est le début d’année et que l’optimisme est de rigueur, voici quelques notes d’espoir et pistes d’action pour vous communicantes et communicants de l’intérêt général.
D’abord ces annonces, si difficiles soient-elles, ont le mérite de jeter une lumière crue sur les plateformes. Elles sont des partenaires fragiles et, ni leur modèle économique ni leur puissance ne les met à l’abri d’une soumission au politique. Dans ce contexte, les questions stratégiques des objectifs et des cibles de communication se posent avec encore plus d’acuité. Une stratégie digitale pertinente pose les bonnes questions : au service de quels objectifs ? Pour toucher quelles audiences ? Pour dire quoi ? Sur quels espaces ?
S’il faut envisager de quitter Méta, que faire des audiences perdues, où les retrouver, où les reconstruire ? Comment nouer dès à présent une relation directe avec ses audiences ? Ensuite, encore plus qu’hier, il nous faudra miser sur des plateformes et des leviers propriétaires : sites web, appli mobile et newsletters en priorité.
Demain, nous pouvons aussi imaginer basculer des budgets initialement fléchés vers Méta, vers d’autres dispositifs : les partenariats média, les partenariats avec les créateurs et créatrices de contenus. En tous cas, l’affranchissement vis-à-vis de la publicité sur les réseaux sociaux est un horizon souhaitable.
Enfin, il y a sans doute de l’espoir dans la prise de conscience contagieuse qui peut aboutir à une mobilisation collective des acteurs de l’intérêt général (unissez-vous). Ce qui vaut pour les écogestes vaut pour nos pratiques numériques : les gestes individuels sont petits jusqu’à ce qu’ils soient massivement adoptés.